Alger le 15 septembre
Mes très chers parents
Je viens d’avoir vaguement de vos nouvelles par la mère du frère «Si Abderezak». Il paraît que vous allez bien. Je l’espère de tout mon cœur. Voilà près de 9 mois que nous n’avons pu communiquer. Je me faisais un mauvais sang de tous les diables. Car je savais que vous étiez très ennuyés à cause de moi; que la police ne sortait plus de la maison et il m’était impossible de vous écrire ou de vous envoyer qui que ce soit. J’aimerai tellement vous revoir, je vous ai terriblement languis, il ne se passe pas un jour où je ne pense à vous. Presque chaque nuit je rêve de vous.
Nous avons eu des moments très difficiles et même maintenant ça ne marche pas comme sur des roulettes, mais enfin cela ne fait rien nous sommes pleins de bonne volonté et des frères meurent tous les jours pour conduire leur pays à la liberté.
J’ai entendu que vous aviez déménagé, cela m’étonne, mais enfin c’est très possible je serai bien curieuse de savoir où vous habitez maintenant et comment est votre nouvelle maison. Une chose pourtant m’ennuie, je ne peux plus vous imaginer vivre comme je le faisais avant. Je me dis toujours: «Tiens en ce moment ils sont à table» et je vous revois chacun à sa place. Lala et Tata Zahia avec vous bien sûr car elles n’ont pas où aller étant dit que mes deux oncles sont en dehors de l’Algérie. Au fait, avez-vous de leurs nouvelles?
Vous-écrivent-ils? C’est terrible comme la famille nous manque quand on est loin d’elle.
Vous savez que je suis très recherchée ici à Alger donc il m’est impossible de rien faire. Aussi ai – je décidé enfin, il est de mon devoir de partir au maquis où je sais que je pourrais servir comme infirmière ou même s’il le faut et je l’espère de tout mon cœur combattre les armes à la main, enfin la route sera bien sûr assez difficile pour arriver jusqu’à un maquis, mais j’espère qu’avec l’aide de Dieu j’arriverai saine et sauve.
Ne vous en faites surtout pas pour moi, il faut penser aux petits qui vont bientôt reprendre l’école et qui j’espère travailleront bien. Vous ne pouvez vous imaginer combien ils me manquent, en effet voici un an que je ne les ai vus ils ont dû grandir surtout mon petit Mohamed, est – il aussi méchant? parle-t-il quelquefois de moi, ou bien m’ont-ils oublié et la concierge toujours aussi bavarde? Setty maintenant je crois que je ne la reconnaîtrai peut-être pas, c’est une vraie jeune fille. J’aimerai avoir leurs photos et la vôtre aussi. Ainsi, il me semblera porter avec moi en mon coeur toute ma famille.
J’aimerai beaucoup vous voir avant de partir. Je ne sais pas si je pourrai, mais sachez que je ferai mon possible car une fois au maquis vous n’aurez que très peu ou rarement de mes nouvelles, bientôt Inch’Allah nous serons tous réunis mais peut-être ou si la mort nous arrache à la vie nous nous rencontrerons chez notre Dieu. Si je meurs vous ne devez pas me pleurer, je serai morte heureuse je vous le certifie. Enfin, il n’en est pas question, mais on ne sait jamais c’est si vite arrivé surtout dans la vie que je mène.
Enfin, bref tâchez de m’indiquer une adresse sûre où je pourrais vous écrire il le faut absolument quant à vous répondez – moi par la personne qui vous apportera cette lettre. Enfin chers parents j’espère que avez reçu les lettres que j’ai écrites à Tata Sakina. Je ferai tout mon possible pour vous voir avant de partir mais je ne sais pas s’il faut beaucoup y compter. Enfin tâchez de m’envoyer les photos que je vous demande. Je vous embrasse tous très très fort. Lala et Tata surtout qui doivent beaucoup penser à leur petite fille et vous mes parents adorés, il n’est pas de mots pour vous exprimer mon affection.
Mille baisers
Votre fille qui vous aime Hassiba
https://www.algerie360.com/la-derniere-lettre-de-hassiba-ben-bouali-1938-1957-a-ses-parents/