“Ceux pour lesquels l’Histoire a donné raison”
Le 5 septembre 1960 s’ouvre à Paris, devant un tribunal militaire, le procès de 20 membres du réseau Jeanson (ce dernier étant entré dans la clandestinité) composé de Français qui s’étaient engagés dans des actions d’aide au FLN.
Ces militants étaient accusés d’être “des porteurs de valises”, donc de transporter des fonds pour le FLN, mais aussi de louer des appartements pour accueillir des Algériens recherchés.
Affublés de la gravissime accusation d’atteinte à la Sûreté de l’État, ils encouraient de lourdes peines. Dès le lendemain, le 6 septembre 1960 fut publié dans le magazine Vérité-Liberté, un manifeste signé par 121 personnalités sous le titre de “Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie”.
Ce brûlot, immédiatement censuré par les autorités françaises, était initié par Dionys Mascolo (1916-1997, militant de gauche et essayiste) et Maurice Blanchot (1907-2003, romancier, philosophe, critique littéraire, de la même tendance politique) auxquels se joindront des intellectuels de divers horizons : philosophes, écrivains, artistes, historiens etc.
Le Manifeste des 121 part d’un constat : beaucoup de Français qui prenaient position contre la guerre d’Algérie et ceux qui venaient en aide au FLN étaient poursuivis, emprisonnés ou sanctionnés administrativement par des suspensions de leurs fonctions ou carrément des révocations quand il s’agissait de fonctionnaires.
Leurs motivations n’étaient toujours pas bien saisies dans le pays. Les initiateurs du Manifeste des 121 voulaient informer l’opinion française et internationale que “les évènements” en Algérie étaient en réalité une guerre menée par un peuple pour son indépendance, mais une guerre à laquelle le militarisme français de l’époque ne voulait pas mettre fin, suivi il est vrai par une partie de la classe politique et de l’opinion. Il était temps pour la France de comprendre le sens de l’Histoire qui voyait s’effondrer les derniers empires coloniaux.
Les rédacteurs du Manifeste, tout en avertissant sur les dangers du militarisme et de la torture pour la démocratie, justifiaient le refus de Français de prendre les armes contre le peuple algérien et le droit d’aider le FLN pour ceux qui le souhaitaient. Pour ces personnalités, “la cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres”. Comme indiqué ci-dessus, la publication du Manifeste des 121 est immédiatement interdite, ainsi que les films ou pièces de théâtre des auteurs concernés.
Les fonctionnaires signataires sont révoqués, comme le mathématicien Laurent Schwarz ( de l’École polytechnique) ou Pierre Vidal-Naquet (de la Fonction publique). Les artistes sont interdits d’antenne à la RTF. Dans la suite des réactions, un contre-manifeste, intitulé “Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l’abandon”, signé par 185 intellectuels généralement de droite, a été publié le 7 octobre 1960 par Le Monde et Le Figaro, et le 12 par l’hebdomadaire Carrefour, sous le titre : “En marge du Manifeste des 121, 185 intellectuels français condamnent les apologistes de l’insoumission et de la désertion”.
C’était, à peine voilée, une accusation de trahison qui était adressée aux signataires du Manifeste des 121.
Pourtant, l’Histoire leur a donné raison, tout en disqualifiant les partisans du jusqu’au-boutisme.
Aujourd’hui, ces hommes et ces femmes qui ont eu le courage de dire non à la guerre, parmi lesquels on compte la philosophe et écrivaine Simone de Beauvoir, l’écrivain et homme de cinéma Robert Benayoun, la femme de lettres Françoise Sagan, l’historien André Mandouze, le philosophe Jean-Paul Sartre etc... sont considérés par beaucoup comme des intellectuels qui ont sauvé l’honneur de la France pendant la guerre d’Algérie.
C’est aussi l’image attribuée à d’autres héros morts pour l’indépendance de l’Algérie tels que Maurice Audin, Fernand Yveton, Henri Maillot, et à d’autres militants comme les Chaulet, Alice Cherki, Serge Michel et bien d’autres, dont l’Histoire enregistrera leurs noms comme étant des femmes et des hommes libres qui se sont engagés du côté du droit, de la justice et de la morale.
Les Algériens leur doivent reconnaissance et respect de leur mémoire.