Histoire de l’Afrique septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) par Ernest Mercier.
PARIS - ERNEST LEROUX ÉDITEUR - 28, RUE BONAPARTE, 28 - 1888

PRÉFACE
Arrivé en Algérie il y a trente-quatre ans ; lancé alors au milieu d’une population que tout le monde considérait comme arabe, ce ne fut pas sans étonnement que je reconnus les éléments divers la composant : Berbères, Arabes et Berbères arabisés. Frappé du problème ethnographique et historique qui s’offrait à ma vue, je commençai, tout en étudiant la langue du pays, à réunir les éléments du travail que j’offre aujourd’hui au public.

Si l’on se reporte à l’époque dont je parle, on reconnaîtra que les moyens d’étude, les ouvrages spéciaux se réduisaient à bien peu de chose. Cependant M. de Slane commençait alors la publication du texte et de la traduction d’Ibn-Khaldoun et de  divers  autres  écrivains  arabes.  La  Société  archéologique de Constantine, la Société historique d’Alger venaient d’être fondées, et elles devaient rendre les plus grands services aux travailleurs locaux, tout en conservant et vulgarisant les découvertes. En? n, la maison Didot publiait, dans sa collection de l’Univers pittoresque, deux gros volumes descriptifs et historiques sur l’Afrique, dus à la collaboration (le MM. d’Avezac, Dureau de la Malle, Yanosky, Carette, Marcel.

Un des premiers résultats de mes études, portant sur les ouvrages des auteurs arabes, me permit de séparer deux grands faits distincts qui dominent l’histoire et l’ethnographie del’Afrique septentrionale et que l’on avait à peu près confondus, en attribuant au premier les effets du second. Je veux parler de la conquête arabe du VIIe siècle, qui ne fut qu’une conquête militaire, suivie d’une occupation de plus en plus restreinte et précaire, laissant, au Xe siècle, le champ libre à la race berbère, affranchie et retrempée dans son propre sang, et de l’immigration hilalienne du XIe siècle, qui ne fut pas une conquête, mais dont le résultat, obtenu par une action lente qui se continue encore de nos jours, a été l’arabisation de l’Afrique et la destruction de la nationalité berbère.

Je publiai alors l’Histoire de l’établissement des Arabes dans  l’Afrique  septentrionale  (I,  vol.  in-8,  avec  deux  cartes, Marle-Challamel, 1875), ouvrage dans lequel je m’efforçai de démontrer ce que je demanderai la permission d’appeler cette découverte historique.

Mais je n’avais traité qu’un point, important, il est vrai, de l’histoire africaine, et il me restait à présenter un travail d’ensemble. Dans ces trente-quatre années, que de documents, que d’ouvrages précieux avaient été mis au jour ! En France, la conquête de l’Algérie avait naturellement appelé l’attention des savants sur ce pays. Nos membres de l’Institut, orientalistes, historiens, archéologues, trouvaient en Afrique une mine inépuisable, et il suf? t, pour s’en convaincre, de citer les noms de MM. de Slane, Reynaud, Quatremère, Hase, Walcknaer, d’Avezac, Dureau de la Malle, Marcel, Carette, Yanoskv, Fournel, de Mas-Latrie, Vivien de Saint-Martin, Léon Rénier, Tissot, H. de Villefosse.

En Hollande, le regretté Dozy publiait ses beaux travaux sur l’Espagne musulmane. En Italie, M. Michèle Amari nous donnait l’histoire des Musulmans de Sicile, travail complet on le sujet a été entièrement épuisé. En? n l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne fournissaient aussi leur contingent.

Pendant  ce  temps,  l’Algérie  ne  restait  pas  inactive. Un nombre considérable de travaux originaux était produit par un groupe d’érudits qui ont formé ici une véritable école historique. Je citerai parmi eux : MM. Berbrugger, F. Lacroix enlevé par la mort avant d’avoir achevé son œuvre. Poulle, le savant président de la Société archéologique de Constantine, Reboud, Cherbonneau,  général  Creuly,  Mac-Carthy,  l’abbé  Godard, l’abbé Barges, Brosselard. A. Rousseau, Féraud, de Voulx, Gorguos Vayssettes , Tauxier, Aucapitaine, Guin, Robin, Moll, Fagot, Elle de la Primaudaie, de Grammont, président actuel de la Société d’Alger, et bien d’autres, auxquels sont venus s’ajouter plus récemment MM, Boissière, Masqueray, de la Blanchère, Basset, Houdas, Pallu de Lessert, Poinssot. Cagnat…

Grâce aux efforts de ces érudits dont nous citerons souvent les ouvragés, un grand nombre de points, autrefois obscurs, dans l’histoire de l’Afrique, ont été éclairés, et s’il reste encore des lacunes, particulièrement pour l’époque byzantine, le XVe siècle et les siècles suivants, surtout en ce qui a trait au Maroc, elles se comblent peu à peu, Je ne parle pas de 1’époque phénicienne : là, il n’y a à peu près rien à espérer.

Comme sources, notre bibliothèque des auteurs anciens est aussi complète qu’elle peut l’être. Quant aux écrivains arabes, elle est également à peu près complète, mais il faudrait, pour le public, que deux traductions importantes fussent entreprises, — et elles ne peuvent l’être qu’avec l’appui de l’État.  — Je veux parler du grand ouvragé d’Ibn-el-Athir (1) , qui renferme beaucoup de documents relatifs à l’Occident, et du Baïane, d’lbn-Adhari, dont Dozy a publié le texte arabe, enrichi de notes.

Il est donc possible, maintenant, d’entreprendre une histoire d’ensemble. Je l’ai essayé, voulant d’abord me borner aux annales de l’Algérie ; mais il est bien dif? cile de séparer l’histoire du peuple indigène qui couvre le nord de l’Afrique, en nous conformant à nos divisions arbitraires, et j’ai été amené à m’occuper en même temps du Maroc, à l’ouest, et de la Tunisie et de la Tripolitaine, à l’est. Cette fatalité s’imposera à quiconque voudra faire ici des travaux de ce genre, car l’histoire d’un pays, c’est celle de son peuple, et ce peuple, dans l’Afrique du Nord, c’est le Berbère, dont l’aire s’étend de l’Égypte à l’Océan, de la Méditerranée au Soudan.

Fournel, qui a passé une partie de sa longue carrière à amasser des matériaux sur cette question, a subi la fatalité dont je parle, et lorsqu’il a publié le résultat de ses recherches, monument d’érudition qui s’arrête malheureusement au XIe siècle, il n’a pu lui donner d’autre titre que celui d’histoire des « Berbers ».

Mes intentions sont beaucoup plus modestes, car je n’ai pas écrit uniquement pour les érudits, mais pour la masse des lecteurs français et algériens. Je me suis appliqué à donner à mon livre la forme d’un manuel pratique ; mais, ne voulant pas étendre outre mesure ses proportions, je me suis heurté à une dif? culté inévitable, celle de suivre en même temps l’histoire de divers pays, Histoire qui est quelquefois confondue, mais le plus souvent distincte.

Dans ces conditions, je me suis vu forcé de renoncer à la forme suivie et coulante de la grande histoire, pour adopter celle du manuel, divisé par paragraphes distincts, dont chacun est indépendant de celui qui le précède. Ce procédé s’oppose naturellement à tout développement d’ordre littéraire : la sécheresse est sa condition d’être ; mais il permet de mener de front, sans interrompre l’ordre chronologique, l’exposé des faits qui se sont produits simultanément dans divers lieux. De plus, il facilite les recherches dans un fouillis de lieux et de noms, fait pour rebuter le lecteur le plus résolu.

Écartant toutes les traditions douteuses transmises par les auteurs  anciens  et  les  Musulmans,  car  elles  auraient  allongé inutilement le récit ou nécessité des dissertations oiseuses, je n’ai retenti que les faits certains ou présentant les plus grands caractères de probabilité. Je me suis attaché surtout à suivre, le plus exactement possible, le mouvement ethnographique qui a fait de la population de la Berbérie ce qu’elle est maintenant.

Deux cartes de l’Afrique septentrionale à différentes époques, et une de l’Espagne, faciliteront les recherches. En?n une table géographique complète terminera l’ouvrage et chaque volume aura son index des noms propres.

Constantine, le 1er Janvier 1888.
Ernest MERCIER.
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 1. Kamil-el-Touarikh.

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