Jusqu’à 1990, une rue de Ténès portait le nom de Pierre Ghenassia, un enfant juif de la ville, tombé au champ d’honneur pour la libération de l’Algérie. Les élus islamistes installés à l’APC en 1990 rebaptisèrent la rue au nom d’El-Qods.
Il est vrai que l’inculture et l’ignorance crasse font commettre les pires choses, comme d’ailleurs la tentative de débaptisation plus récente d’une rue qui portait le nom de Fernand Iveton à Oran, avant que des patriotes n’interviennent pour rétablir la place du guillotiné, mort pour l’Algérie le 11 février 1957.
Pierre Ghenassia tombait au champ d’honneur à l’âge de 17 ans, le 22 février 1957, lors d’un accrochage avec l’armée française dans la Wilaya 4 historique. Né à Ténès en 1939 dans une famille juive de tradition anticolonialiste, il l’était lui-même profondément dès son jeune âge.
Proche du Parti communiste algérien, il fréquentait les nationalistes du FLN et baignait dans une ambiance familiale engagée pour l’indépendance (son cousin Jean-Pierre Saïd, sa tante Mireille Saïd…). Dès son déclenchement, Pierre Ghenassia adhérait à la Révolution de Novembre 1954.
En 1956, il rejoint l’ALN dans la Wilaya 4 historique, sous les ordres du Commandant Azzedine. Sous le nom de guerre de Hadj, il était infirmier et soignait les blessés de l’ALN. “Hadj est mort, refusant d’abandonner ses blessés.
C’était un frère et nous l’avons pleuré… Il est mort à Tiberguent en défendant une infirmerie et les blessés dont il avait la responsabilité”, écrit le Commandant Azzedine, qui ajoute : “L’une des figures les plus attachantes fut celle de notre infirmier zonal, Hadj. Nous l’appelions ainsi, mais son vrai nom était Ghenassia. Il était israélite, parlait très bien l’arabe. Pour tous ceux qui tiennent comme un fait établi le prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu’on le sache : Hadj est mort les armes à la main, pour l’Algérie.”
Dans une lettre à ses parents écrite au maquis, “Pierre, dit Hadj” (c’est ainsi qu’il l’a signée), dit : “Je milite depuis au milieu de milliers de jeunes qui, comme moi, ont rejoint le maquis et qui, dans un magnifique élan d’enthousiasme, tendent tout leur être vers la réalisation de leur idéal.”
Il embrasse ses parents et termine sa lettre par un “à bientôt dans une Algérie libre et indépendante”. Durant la guerre de Libération nationale, le FLN avait appelé les Algériens “juifs et européens” à le rejoindre, en leur assurant que “son vœu est celui d’une Algérie multiethnique, multiconfessionnelle… où toutes les communautés seront respectées…”.
La direction de la Révolution n’a pas cessé de rappeler que “l’Algérie est le patrimoine de tous… L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune”.
Cette démarche était en symbiose avec les convictions de beaucoup d’hommes et de femmes, juifs et européens, essentiellement sympathisants ou membres du PCA, qui se sont engagés dans la lutte anticolonialiste. Si l’on connaît mieux Frantz Fanon, Maurice Audin ou Gisèle Halimi, d’autres noms sont inconnus du public algérien.
Pourtant, ces hommes et ces femmes se sont battus pour l’indépendance de l’Algérie qu’ils considéraient comme leur pays. Si, durant la guerre de Libération, les organisations juives “officielles” choisissent la neutralité, beaucoup de juifs français refusent de se taire et vont jusqu’à risquer leur vie pour s’opposer à la torture.
“Ils jouent un rôle de premier plan dans la divulgation auprès de l’opinion des actes de violence révoltants commis par l’État français contre les insurgés et figurent, aux côtés de chrétiens, de musulmans et de libres-penseurs, en tête du mouvement contre la torture en France”.
D’autres juifs se sont résolument engagés dans le combat libérateur, issus pour la plupart du PCA. À sa demande, ils ont, comme d’autres militants, rejoint individuellement le FLN-ALN. Ténès gagnerait à honorer la mémoire du Chahid Pierre Ghenassia en redonnant son nom à un espace public de la ville.
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